Le
rôle de la lune
Selon un jeune astronome français, Jacques Laskar, assisté de
Philippe Robutel et Frédéric Joutel, la Lune aurait joué un rôle
décisif dans l'évolution climatique de la Terre, donc dans son
évolution biologique. Selon lui, la Terre doit à la Lune de bénéficier
de conditions climatiques relativement stables - du moins à l'intérieur
des limites exigées par la vie - depuis des milliards d'années.
Cette influence bénéfique s'est exercée essentiellement sur l'un
des paramètres déterminants pour le climat : l'inclinaison de
l'axe de rotation de notre planète sur son orbite. Imaginez un
instant que la Terre pointe l'un de ses pôles vers le Soleil...
Nuits de six mois et jour d'autant se succéderaient. Ou que cet
axe se balade dans toutes les directions, bouleversant ainsi les
climats. La vie n'y serait peut-être pas apparue ou, au mieux,
son évolution se serait arrêtée aux micro-organismes aptes à supporter
de telles variations, sans jamais donner naissance à des formes
complexes susceptibles de parvenir à la conscience.
Il y a dix ans, la majorité des astronomes considéraient qu'à
l'échelle de la vie du système solaire, une dizaine de milliards
d'années, la stabilité était acquise. C'était d'ailleurs l'opinion
de Jacques Laskar lorsqu'il se proposa de fournir aux paléoclimatologues
les positions de la Terre sur plusieurs centaines de millions
d'années.
Pour remonter aussi loin, il faut intégrer les équations décrivant
le mouvement de la Terre autour du Soleil et la rotation de notre
étoile en tenant compte de toutes les influences gravitationnelles.
Impossible à l'époque, même pour les ordinateurs
les plus puissants. Avec 150 000 termes d'équations noircissant
800 pages, et une simplification honnête (calcul des moyennes
orbitales tous les 500 ans avec les seules huit planètes principales),
l'astronome gagna son pari.
Le résultat surprit tout le monde ; Jacques Laskar le premier.
Le calcul montra en effet qu'une minuscule erreur de 0,000 000
01 % dans les conditions initiales (les valeurs fournies à l'ordinateur
pour débuter son calcul) se muait en erreur de 100 % au terme
des cent millions d'années. Autrement dit, une erreur de 15 mètres
se mue en 150 millions de km au bout de cent millions d'années.
Bref, il y a du chaos dans les mouvements de la Terre. Un chaos
aux causes parfaitement identifiables : des résonances entre les
périodes de précession des orbites de Mars et de la Terre d'une
part, de Mercure, Vénus et Jupiter de l'autre. Le système solaire
tombait de son piédestal d'éternité pour rejoindre la cohorte
des systèmes dynamiques chaotiques, ceux dont le passé et l'avenir
ne sont calculables que dans certaines limites.
" Je n'étais pas satisfait parce que je ne comprenais pas
la forme des solutions pour l'obliquité de la Terre. Un décalage
persistant entre l'analyse (lés valeurs théoriques) et le calcul
numérique indiquait l'existence d'une difficulté. En particulier
l'existence d'un tout petit effet provenant de Jupiter et de Saturne.
Comme les planètes ne sont pas toutes exactement sur le même plan,
leurs oscillations relativement au plan de l'orbite de la Terre
peuvent entrer en résonance avec les mouvements de notre planète
- comme lorsque vous poussez une balançoire juste au moment où
elle est en haut de sa trajectoire - et déclencher un effet important
sur son inclinaison. Or, cette composante du mouvement de la Terre
influe fortement sur son climat. On sait qu'une légère différence
d'insolation en été à 65° nord peut déclencher la sortie ou l'entrée
en période glaciaire puisque l'hémisphère Nord comporte des continents
susceptibles d'accueillir d'immenses glaciers. Des étés froids
favorisent leur constitution. Des étés chauds, leur fonte. Sur
un million d'années, la variation de l'inclinaison n'est que de
plus ou moins 1,3° autour de la valeur moyenne de 23,3°. Cela
semble peu, mais cela induit des variations de 20 % de la chaleur
reçue en été par 65° nord. C'est le principal facteur de variation
climatique, nettement plus important que les variations de l'excentricité
de l'orbite."
Jacques Laskar s'est alors fixé un objectif ambitieux : obtenir
des solutions précises et globales des variations de l'obliquité
de la Terre, mais également de toutes les planètes, dont Mars,
Vénus et Mercure. Un programme qui permet d'examiner pour toute
valeur initiale l'évolution de l'inclinaison des planètes,
de savoir si elle est stable, régulière ou chaotique.
Son premier résultat fut de montrer le rôle décisif de la Lune.
Les calculs plus précis de Jacques Laskar révèlent que sur un
million d'années seulement l'obliquité de la Terre subirait
des variations de plus ou moins 15°.
Plus spectaculaire encore, l'analyse globale de l'obliquité de
la Terre dépourvue de son satellite indique que, pour des
durées du jour allant de 12 à 48 heures et une obliquité initiale
située entre 0° et 80°, l'inclinaison varie ensuite en quelques
millions d'années sur toutes les positions. Bref, quelle que soit
la condition de départ, sans la Lune, la Terre danserait la samba.
Ces résultats obligèrent à reprendre les modèles de formation
du système solaire. Ils font disparaître l'inclinaison actuelle
des planètes des conditions initiales, rendent inutile l'explication
de cette inclinaison par des chocs dans la phase finale de leur
constitution.
En ce qui concerne le couple Terre/Lune, l'importance du rôle
stabilisateur de notre satellite soulève une interrogation. Et
si, parmi les conditions nécessaires à l'apparition de la vie
sur une autre planète, il fallait ajouter un élément - un satellite
massif - lui permettant d'assurer un climat assez stable ? Une
telle hypothèse réduirait sensiblement les chances de trouver
quelque part autour d'une autre étoile, une planète aussi accueillante
que notre bonne vieille Terre.
Source : - Sciences et Avenir Juillet 1993, pp. 74-77
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